A 30 ans, Walid Rachid Tebane, alias "Usmakabyle", vient de vivre une dernière saison plutôt décevante sous les couleurs de l'AS Monaco, qu'il vient de quitter après cinq années marquées par de grands succès. Mais pas de quoi entamer la motivation du triple champion du monde de Pro Evolution Soccer et triple vainqueur de l'eFootball Championship Pro, qui va prochainement s'attaquer à un nouveau défi sous les couleurs l'équipe eSports d'Algérie. Le "GOAT" nous l'assure, il a "toujours faim" de victoires !
Tu as vécu une saison eSportive difficile en 2023 avec une avant-dernière place à l’eFootball Pro malgré des performances individuelles remarquables et une élimination dès la phase de groupe des finales mondiales de l’Open… Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Qu’est-ce qu’il t’a manqué, à toi ou bien à l’AS Monaco d’un point de vue collectif pour performer ?
"Oui, ça a été une saison très compliquée, même si je finis avec un bon bilan, quatrième ou cinquième sur les 28 joueurs et meilleur buteur de la saison régulière (deuxième meilleur buteur de la compétition après la phase finale, avec 20 réalisations) avec une équipe comme Monaco.
Je reste déçu de la saison. On a fait les mauvais choix je pense. Je ne rejette la faute sur personne car on était une équipe. Ce n’est pas la même façon de travailler avec des jeunes qu’avec des joueurs expérimentés. On a perdu des éléments qui étaient importants avec qui j’avais bossé pendant longtemps et c’est trop difficile a chaque fois de recommencer à bosser avec de nouveaux joueurs... Certains sont moins réceptifs car quand tu as 10 ans d’expérience, tu ne peux pas changer du jour au lendemain, alors que pour un jeune c’est plus simple. Car ce n'est pas juste 'chacun s’entraîne dans son coin', non, on essaye de s’améliorer ensemble et trouver une solution à tous pour nous perfectionner sur le terrain et en dehors.
On a échoué et pour l’Open honnêtement, je savais que je n’avais pas les crocs pour aller le chercher. Déjà, techniquement, prendre la Barca alors que j’étais imbattable avec le Bayern... ou au pire rester avec Monaco que je connaissais comme ma poche... ça, c'était une grosse erreur. Et mentalement, à ce niveau, si tu ne considères pas le tournoi comme un tournoi qui peut changer ta vie, tu ne peux pas le gagner.
Et ça n’aurait rien changé pour moi car beaucoup ne considèrent même pas l’Open comme un véritable titre de champion du monde et, surtout, le tournoi le plus important était l'eFootball Pro. Alors qu'autrefois, la PES League c’était le mondial 1 vs 1...
Tu ajoutes à cela le fait qu'il n'y avait qu'un seul qualifié sur quatre en poule, le tout online, avec des équipes limitées de l'eFootball Pro, un règlement qui change dix jours avant... Et tu as les ingrédients d’un échec. Mais bon, en vrai, j’aurais quand même dû faire mieux, c’est une évidence, sinon il ne fallait pas y aller."
Tu as annoncé ton départ de l’ASM il y a quelques semaines après avoir connu de grands succès avec le club. Cela a dû être difficile…
"Oui, après cinq ans... Toutes les belles histoires prennent fin. Je suis fier d’avoir été le plus performant sur la scène eSport de ce club, voir même en prenant tous les autres domaines du club durant ces cinq merveilleuses années."
Une petite consolation tout de même avec ta participation à la finale du Global eSport Tour de Riyad cet automne, un tournoi co-op disputé avec ton coéquipier à l’ASM Zilo, qui a été l’une des révélations de la saison sur eFootball. Tu peux nous parler un peu de lui ?
"Je le connaissais déjà et j’ai été agréablement surpris. Ça fait partie des erreurs de ne pas l’avoir pris plus tôt dans la saison. Car je préfère bosser avec des jeunes. Mais la barrière de la langue me faisait peur.
Ça s’est très bien passé, il est incroyable, il comprend très bien et surtout c’est vraiment un bon jeune. A Riyad, on perd en finale mais honnêtement on était la meilleure équipe, largement, avec juste trois semaines d’entraînement dont deux sans micro. Mais les finales ça se gagne... Et je pense vraiment que s'il y a de nouveaux tournois co-op à l'avenir, on peut faire très très mal ! Et je lui souhaite le meilleur, car il fait partie du futur avec d’autres comme Nekza."
En parlant de l’organisation Global eSport, tu vas bientôt participer à leur mondial en individuel sur eFootball, toujours en Arabie Saoudite, sous les couleurs de l’Algérie. On imagine que c’est une immense fierté… Tu t’es fixé un objectif pour cette coupe du monde ?
"Oui, c’est une fierté. Je tiens à préciser que j’aime l’Algérie tout autant que la France et que, pour le coup, je n’ai même pas eu à choisir car la France ne participe pas.
Mais c’est un honneur. Je souhaite, au moins avant la fin de ma carrière, offrir une performance mémorable en eSport à l’Algérie. Car on souffre encore de beaucoup de choses là-bas. Et ça me tient à cœur car je pense que ça peut vraiment aider l’eSport à s'y développer.
Habituellement, je refusais les tournois non officiels online ou offline, car ça demande trop d’énergie pour un palmarès non reconnu par Konami comme l’étaient l'ESWC ou l'IESF plus récemment. Mais là, c’est la seule manière actuellement de porter les couleurs de l’Algérie donc je le ferais. Et j’espère vraiment mettre l’Algérie au sommet du monde eSport !"
Le mental est un aspect très important dans l’eSport et le sport en général. Comment arrives-tu encore à te motiver pour aller chercher d’autres titres alors que tu as déjà tout gagné ?
"J’ai toujours faim ! Je ne sais pas comment l’expliquer. Cette année, j’étais anéanti de pas avoir fait de performance alors que d’autres auraient abdiqué. J’espère garder cette motivation longtemps encore, mais c’est très difficile, le jeu est trop frustrant.
Quand tu as dominé autant la scène en 1 vs 1, c’est difficile d’accepter de devoir perdre beaucoup plus en training car le jeu décide parfois du vainqueur… Les gens ne se rendent pas compte...
Ce n'est pas de la prétention mais ça fait vraiment chier de perdre autant en training ou contre d’autres bons joueurs qui n’arrivaient même pas à me prendre un match sur dix. C’est la seule chose qui me fait perdre en motivation car on a l’impression de s’entraîner dans du vide parfois. Mais bon, on reste des bonhommes... A nous de trouver une solution contre le jeu et les adversaires."
Tu as sans aucun doute le plus gros palmarès de l’histoire de l’eSport sur PES et eFootball. Comment vis-tu le fait d’être “l’homme à battre” dans quasiment toutes les compétitions auxquelles tu participes ?
"J’ai eu la chance assez rapidement d’être l’homme à abattre. Il faut savoir que j’ai commencé fin janvier 2015 et que je participais à ma première PES League officielle en février. J’y avais déjà marqué les esprits avec des scores fleuves, même si je n'avais pas gagné le tournoi. Puis j’ai enchaîné avec des performances mémorables, comme une série de 235 victoires de suite online.
Et avant même mon premier titre de champion de France, en mai de la même année, il y avait carrément une page sur Facebook qui s'appelait "je suis victime d’Usmakabyle" ! J’étais déjà l’homme à abattre alors que j’avais zéro palmarès. Et j’ai remporté le championnat de France et du monde moins de 5 mois après mes debuts, le 6 juin 2015. Donc j’ai toujours connu ça. C’est difficile car n’importe qui veut notre peau, parfois ça aide parce que certains sont tétanisés. On est toujours considérés comme favori.
Mais mon passage sur FIFA m'a permis de revivre la sensation d’être outsider et m'a beaucoup aidé pour mon retour, car j’avais accepté l’idée que si je gagnais avec un but d'écart c’était suffisant, même si je n'étais pas impressionnant à cause de l’algorithme sur jeu. Là où, sur PES 2015 ou 2016, je me devais même face à des tops joueurs mondiaux de gagner largement ou de dominer 100% du temps sur absolument tous les endroits du terrain."
Quel est ton ressenti sur la version actuelle d’eFootball ?
"C’est un bon jeu, mais la vérité on la connaît... Tant qu’on laissera ce momentum ou script, le jeu ne me plaira pas autant qu’un PES 2015. Il y a eu beaucoup d’améliorations dans le gameplay, il faut être honnête, mais ce n'est pas suffisant si la base est défaillante. Et évidement, le contenu... Car même avec un gameplay 'bof' EA FC reste toujours devant."
Si tu avais une baguette magique pour changer une chose sur eFootball, que ferais-tu ?
"Le script en premier (rires) ! Mais pour changer un peu, on va dire l’équipe de communication et de développement qui n’exploite pas assez le jeu et les capacités monstres qu’il a. J’espère, de mon vivant, revoir eFootball repasser devant EA FC. Mais pour ça, il faut accepter de faire son auto-critique et pas être suffisant."
Au fait, combien d’heures par jour ou semaine ça joue au jeu un GOAT d’eFootball ?
"Ça dépend des périodes. Hors compétition, on me voit sur NBA2K, Fall Guys ou Rocket League (rires). Mais durant la saison régulière c'est trois-quatre heure et à l’approche de gros événements, j’envoie douze à quinze heures facile car je suis obnubilé par la performance. C’est un sacrifice que les gens n’imaginent même pas.
C’est pour ça qu’on grossit entre le début et la fin de saison d’ailleurs (rires). Mais, un jour, j’en parlerais aussi des impacts négatifs sur la santé et le mental chez les joueurs de très haut niveau. Parce que s'investir quatre ou cinq mois à fond pour être éliminé sur un match sec de dix minutes a cause d’un contre favorable, c'’est dur.
Autant, moi, ça ne change rien à ma carrière maintenant car j’ai déjà fait le plus dur, autant certains jouent des contrats, leur carrière et leur vie carrément. Car ça reste un accomplissement de vie d’être champion d’Europe ou du Monde."
Dans quel domaine du jeu penses-tu avoir encore une marge de progression ? Un point sur lequel tu dois travailler ?
"Déjà, les dribbles... Je n’ai jamais été un bon dribbleur car mon style reste la passe et le timing. Je suis plutôt mécanique et je répète la même chose encore et encore, mais je dois plus dribbler, surtout que ce jeu tend vers ca et qu’il va falloir sérieusement m’améliorer pour enrichir ma palette.
Et je peux aussi rajouter le pressing, alors que c’était ma force sur PES. Désormais, on ne peut plus presser très haut tout en envoyant un autre joueur, en le contrôlant bien, sans devoir croiser les doigts avec la touche contenir qui intercepte à son bon vouloir. Je suis largement moins performant sur ça.
C’est frustrant de laisser les mecs jouer parfois. Mais à moi de progresser et de trouver une solution pour asphyxier mes adversaires à nouveau." Un grand flou règne actuellement autour de l’avenir du circuit eSport professionnel officiel de Konami. Pense-tu que l’avenir de la scène eFootball est ailleurs ? Chez des organisations privées ou associatives comme Global eSports et l’IESF ? Est-ce que la situation actuelle t’inquiète ?
"C’est une bonne question... On a toujours été dans le flou depuis des années. Ça ne date pas d’aujourd’hui, mais je trouve dommage que Konami jette à la poubelle - a l’heure actuelle - la meilleure idée eSport de son histoire.
Oui, il faut penser à bouger si on veut rester pro. Comme Alex Alguacil qui signe en Indonésie. Je pense que les meilleurs joueurs européens ont déjà eu des opportunités pour aller ailleurs même si elles n’égaleront jamais celle des grands clubs européens.
Mais, oui, je pense que Global eSports et l'IESF peuvent faire quelque chose car l’Arabie Saoudite, par exemple, mise beaucoup dans son développement sur l’eSport. C’est un objectif, donc on va juste suivre les améliorations qui arrivent de ce côté, sans rien attendre de Konami de l’autre. Car avec Konami tout est possible, dans les deux sens d’ailleurs."
CV Express
Walid Rachid Tebane, alias "Usmakabyle" a 30 ans et est originaire de Colombes, près de Paris.
- Il a été sacré champion de France 1 vs 1 dès sa première année de compétition sur PES 2015. - Il est le recordman des titres mondiaux officiels sur Pro evolution Soccer en ayant remporté la PES League (l'ancêtre de l'eFootball Championship Open) en 2015, 2016 et 2019. Un seul autre joueur est multiple champion du monde officiel de PES, avec deux succès en 2011 et 2018, l'Italien Ettore Giannuzzi, alias "Ettorito".
- Il détient également le record de titres de champion de l'eFootball Championship Pro (anciennement eFootball Pro), avec, là encore, trois succès en 2019, 2020 et 2022, sous les couleurs de l'AS Monaco eSports, dont il a porté le maillot durant cinq ans. Crédit photo :Walid Rachid Tebane / X (Twitter)
Très bon itw, et réponse intéressante de Walid.
En espérant que Konami se bouge, Efootball est pas mal a regarder, d'autant plus quand c'est ses matchs de haut niveau.
Sympa cet interview, j'adore.
Force à Walid pour la suite!